L’embodiment : le fondement scientifique du sentiment de présence en VR et son intérêt pour apprendre

Embodiment ou sentiment de présence en VR - Speedernet Sphere
Article co-écrit par Mira Hajj-Hassan et Yves Bonis

L’embodiment, également connu sous le nom d’« incarnation« , et de « cognition incarnée » est l’une des principales raisons pour lesquelles les étudiants acquerront des compétences et des connaissances grâce à la réalité virtuelle. Nous allons voir la notion dans le détail, découvrir quelques expériences marquantes dans ce domaine de recherche, puis nous verrons en quoi l’embodiment est un atout fort dans l’atteinte des enjeux de formation.

Qu’est-ce que l’embodiment en VR ?

Vous êtes-vous déjà senti incarné dans un personnage virtuel en lisant ou en jouant à un jeu vidéo ? Avez-vous déjà eu la sensation de ressentir ce qu’il ressent et de vivre ce qu’il vit ? 

Ce sentiment que la science appelle “l’incarnation” ou “embodiment” fait référence à la sensation d’être à l’intérieur d’un corps fictif, de le contrôler et de partager ses perceptions – en réalité virtuelle, ce corps d’emprunt est appelé un “avatar”.

De manière très concrète, apprendre par l’expérience sert à acquérir des connaissances de manière efficace, rapide et parfois indélébile. Mais cela peut s’avérer compliqué à mettre en place dans le cas où les conséquences pourraient être nuisibles à la santé. Voici un exemple de mon propre vécu : j’ai appris à mes dépens à ne jamais enlever les gants en latex pendant des manipulations en laboratoire de biochimie.

Un apprentissage sécurisé et efficace

Alors que je terminais une manipulation, j’ai enlevé mes gants et suis allé à l’évier du laboratoire pour y vider un tube à essai contenant de l’acide chloridrique. J’étais fatiguée et malheureusement, j’ai déversé le contenu du tube sur ma main. Heureusement que l’acide était dilué même si cela m’a causé une douleur très vive. Heureusement aussi que j’ai pu appliquer tout de suite les bons gestes pour éviter que la situation ne s’aggrave.

Des accidents comme celui-là peuvent arriver à n’importe qui et à tout moment avec parfois des conséquences nettement plus funestes. Et même si mon incident a eu une certaine vertu pédagogique en terme de gestes de sécurité et n’a pas eu de conséquences fâcheuses, ce n’est évidemment pas une méthode d’apprentissage à retenir ! Apprendre les mesures de prévention adéquats et mesurer les conséquences de nos actes s’avèrent donc essentiels dans les formations professionnelles. 

Or, on peut obtenir des résultats importants et en toute sécurité grâce à l’embodiment. En effet, la réalité virtuelle permet de donner l’illusion à l’apprenant de s’immerger totalement dans une expérience pourtant virtuelle à travers ses sensations visuelles et auditives. Cela lui permettra donc de percevoir dans son corps les conséquences de ses actes, tout en étant en sécurité comme nous allons le voir ci-dessous.

Aperçu scientifique sur l’embodiment

L’expérience dite de « la main en caoutchouc« , me servira ici à vous présenter le travail de recherche fondamentale qui tâche de mieux comprendre le phénomène de l’embodiment. »

Cette illusion est une expérience courante en psychologie, où des stimuli sont exercés simultanément sur une main en caoutchouc (dans votre champ de vision) et sur votre vraie main (placée hors de votre champ de vision).

Durant l’expérience, une illusion se crée dans votre cerveau, vous menant à considérer que la main en caoutchouc est votre vraie main. En conséquence, si la main en caoutchouc est menacée (par un coup de marteau par exemple), vous aurez l’impression que l’expérimentateur va frapper votre vraie main.

Botvinick et Cohen (1998) ont été les premiers à observer qu’il était possible d’induire l’illusion qu’un objet non animé (la main en caoutchouc) faisait partie de notre propre corps. Ceci grâce à des corrélations multi sensorielles telles que la stimulation dite “visuo-tactile” (donc une stimulation de la vue et du toucher en même temps). 

Des expérimentations ont depuis été menées pour mesurer cette capacité de projection sensorielle en VR. Comme vous pourrez le voir dans la vidéo ci-dessous, il est donc possible d’altérer la proprioception d’une personne sous casque de réalité virtuelle simplement grâce à une stimulation visuo-tactile et donc de lui faire expérimenter la sensation de « présence ». La proprioception étant la perception par cette personne de la place de son propre corps dans l’espace.

De plus, même en l’absence de stimuli tactiles – après tout, dans la majorité des sessions d’apprentissage en XR, on n’a ni le besoin ni la possibilité de toucher un apprenant – la recherche a montré que l’embodiment pouvait tout de même être induit via un contenu visuel et auditif (Johnson-Glenberg, 2018). 

Ainsi, un avatar dont les mouvements correspondent à ceux de l’apprenant, crée un stimulus induisant la cognition incarnée, ce fameux sentiment d’embodiment.

Comment l’embodiment peut-il affecter les processus cognitifs

Contrairement aux émotions qui sont des réponses affectives intenses qui viennent suite à des stimuli externes ou internes, les processus cognitifs sont dépourvus d’affect. Ils correspondent en effet, aux activités mentales qui permettent de traiter l’information, de résoudre des problèmes, de prendre des décisions et d’acquérir des connaissances.

L’embodiment a démontré son utilité par son impact sur les processus cognitifs en permettant le ressenti du “body ownership”. Le body ownership, est défini en tant que l’illusion de s’approprier  un corps autre que le sien (rappelez-vous de l’expérience de la main en caoutchouc de Jamy). En VR, ce corps est le personnage virtuel qui nous représente dans le casque : notre avatar

Le “body ownership”  peut également avoir un impact sur notre perception sociale, car il influence la façon dont nous nous identifions par rapport aux groupes sociaux (nous ne nous comportons pas de la même façon selon les circonstances et les interlocuteurs). Il est donc possible de faire évoluer nos attitudes en les « entraînant » à travers des situations présentées dans un environnement virtuel. 

D’autres facteurs peuvent être modulés grâce au sentiment de body ownership : la perception de la douleur, le poids corporel, les performances motrices et la perception d’un danger. Les chercheurs confirment que la VR a le potentiel de former divers public à toutes sortes d’activités sociales, cognitives et préventives.

Congruence entre contenu et expérience

La réalité virtuelle permet l’expérimentation des connaissances et leur acquisition, notamment grâce aux contrôleurs, Ils permettent de faire des gestes induisant une immersion plus profonde dans l’activité. Or, en formation, le mouvement exécuté est parfois l’objectif d’apprentissage en lui-même. Dans ce cas, nous parlons de la “congruence” entre le geste enseigné et le geste effectué.

Pour illustrer cela, prenons l’exemple de la formation d’étudiants en STAPS (sciences et techniques d’activités physiques et sportives). L’étude des mouvements et les notions anatomiques inhérentes sont au cœur de leur apprentissage. En tenant compte du besoin des apprenants de voir les mouvements effectué en temps réels et sous différents angles en 3D, un “miroir magique” en réalité virtuelle a été proposé.

Il permet de reproduire le mouvement effectué par l’apprenant avec une représentation virtuelle de lui-même en « écorché » (les muscles sont apparents comme sur les planches anatomiques) dans le casque de VR pour en facilité la visualisation.

Ainsi donc, l’adéquation entre le geste effectué et le mouvement visualisé permet une incarnation profonde émanant de la congruence.

Partant de ce concept, comment la congruence peut-elle être mobilisée dans d’autres scénarios ? Laissez parler votre imagination en commentaire !

Vivre l’expérience pédagogique sans limites spatio-temporelles

La science a donc démontré l’impact très positif de l’embodiment sur l’acquisition de connaissances chez les étudiants.

De plus, la VR permet à l’apprenant de revivre la même expérience de formation à chaque nouvelle session. Cela lui permet donc, sous réserve de l’équipement adéquat, de pouvoir rejouer et ancrer efficacement les notions qu’il doit acquérir sans contraintes de temps ou de lieu.


Livre blanc : Facteurs humains et conseils opérationnels

Animer une formation en présentiel à l’aide de casques VR demande du soin pour offrir aux apprenants une expérience sécurisante, attrayante et efficace.

Dans ce guide remplit de conseils opérationnels spécifiques à la réalité virtuelle, vous verrez pourquoi et comment préparer une “zone de sécurité” pour chaque apprenant, comment gérer la sortie d’expérience des participants, comment prévenir le motion sickness et bien d’autres éléments très “terrain”.


Créer les conditions de l’embodiment

Reste à se donner les conditions nécessaires au ressenti de l’embodiment et c’est là que le formateur doit prendre quelques précautions. Nous l’avons vu, la « présence » est une création du cerveau qui réagit à certains stimuli. Donc lors des séances de VR, faites en sorte, autant que faire se peu, de ne pas interférer avec les perceptions de vos apprenants. Évitez de les toucher ou de leur adresser la parole si ce n’est pour répondre à leurs questions.

Ces simples interférences sensorielles pourraient minimiser l’efficacité de vos modules en « sortant » littéralement les utilisateurs de l’expérience immersive que vous leur proposez.

Pour finir, nous serions ravis de lire vos réactions et vos inspirations suite à cet article axé sur les éléments scientifiques qui expliquent l’attrait et l’efficacité de la modalité immersive. Les commentaires sont là pour ça !


Avec le soutien de nos partenaires académiques : L’ANRT, la Région Rhône-Alpes, l’Université Claude Bernard Lyon 1 et l’Université Lumière Lyon 2.

Logos partenaires ANRT, Région AURA, Université Lyon 1 et Université Lyon 2

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Commentaires (8)

Article très intéressant, offrant une analyse pertinente sur le rôle de l’embodiment en réalité virtuelle, en soulignant ses bases scientifiques et son potentiel dans l’apprentissage.
J’ai particulièrement apprécié les explications claires et bien ancrées dans des recherches récentes et les exemples tangibles, qui concrétisent bien les arguments avancés.

👍👍👏👏

Un article bien interréssant, offrant une idée profonde et claire concernant l’embodiment en réalité virtuelle.
L’article est écrit d’une façon cible, bien dirigée, et facile à comprendre par l’audience hors du domaine professionel.
Mes meilleurs félicitations pour les autheurs.

👏🏻👏🏻

Article très intéressant et inspirant.
Technique et précis.
Bravo et courage!

Impressive
Proud 👏👏

Article bien structuré et très claire. J’ai aimé l’explication de tous les mots techniques et leurs effets sur la compréhension du sujet!
Un article très interessant!

Un article riche !
Au-delà du fait d’apprendre un nouveau terme, « embodiment », qui a été expliqué d’une manière simple s’adaptant à tout public, cet article a surtout apporté du rêve et de l’espoir : les possibilités infinies de créer des formations VR s’adaptant à tout domaine ! J’espère faire l’expérience de cet embodiment en médecine bientôt.
Je félicite les auteurs qui ont su me convaincre en mettant en avant une expérience subjective, humaine et personnelle, permettant au lecteur de se projeter facilement dans la lecture d’une part, et des expériences prouvées et appuyées par la science d’autre part.

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